Bitter + Sweet (Hawthorn and orange bitters)
Par Rebecca Altman Le 31 octobre 2014
Recette de l’amertume (pour une personne)
- 1 dose de colère
- 1 bonne demi-dose d’impuissance
- 1 cuillère à soupe de regret
- 1 bonne pincée de stagnation
Préparation :
Concentrer dans le temps, en comprimant fermement en une minuscule pépite ressemblant à un calcul biliaire, puis l’ingérer dans le corps pour se la trimbaler un long moment.
‘Mangez amer pour goûter la douceur’-
Proverbe chinois
Ce proverbe, ou quelque chose dans le genre (je me souviens de quelque chose ressemblant à ‘mangez les amers pour éviter une vie d’amertume’), était beaucoup utilisée quand j’étais en école de Médecine Traditionnelle Chinoise.
Dernièrement, quand je confectionnais des lots d’apéritifs pour les foires ou j’allais, je l’utilisais à la volée constamment.
Cela m’a fait penser à l’amertume et la douceur, et l’équilibre entre les deux, respectivement en goût et dans la vie.
Qu’est-ce que ‘l’amertume’ en fait ? Dans nos corps, là où nous avons des récepteurs gustatifs, c’est relativement évident.
Nous apprenons le gout amer relativement jeune : cela nous fait froncer le visage et nous apprenons, comme il se doit, qu’une petite quantité peut avoir de grands effets. Nous apprenons que l’amer est fort, et déplaisant. Ce que nous n’apprenons pas est qu’en fait nous avons des récepteurs d’amertume dans les poumons. Le long de notre transit intestinal. Et, euh…, d’autres endroits.
Nous avons ces récepteurs pour un certain nombre de raisons.
La première est qu’un grand nombre de poisons sont amers, et que les arômes servent d’avertissement préalable. La seconde est que le fait de les déclencher crée une cascade de réactions digestives, depuis la bouche jusqu’à nos anus : les sécrétions digestives sont éjectées, les enzymes sont enclenchées et le péristaltisme démarre.
L’estomac débute la sécrétion d’acide, le pancréas relâche plus de d’enzymes pancréatiques, de la bile est relarguée, le foie fonctionne plus, la nourriture est dissoute plus rapidement.
En conséquence, nous absorbons proportionnellement plus de nutriments de notre nourriture ; l’amertume est un grand accélérateur d’efficacité digestive.
Chaque petite chose qui as un rôle le long du système digestif, fonctionne mieux avec les amers.
Ça ne représente peut être pas grand-chose si vous faites partie de ces personnes anaboliques qui peuvent digérer pratiquement n’importe quoi, mais pour tous les autres comme moi qui ont une digestion plus lente (la nourriture reste plus longtemps dans nos intestins, nous avons des ballonnements après les repas. Le temps de digestion est long, on se sent fatigué après le repas), les amers sont généralement un recours rapide et efficace qui font toute la différence.
Par contre, nous avons une aversion sociale aux amers.
En tant que société de gratification immédiate, nous avons dans notre évolution commencé à rejeter les amers et tout ce qui viens avec en choisissant systématiquement le sucré.
Le sucré c’est léger, c’est frais et on se sent bien.
Quand on mange sucré, nos yeux s’écarquillent et nous disons ‘encore s’il vous plait’ et on nous en donne.
Le sucré c’est l’innocente jeunesse aux yeux écarquillés ; c’est Bambi aux grands yeux, les petits cochons où les chattons tout doux.
L’amertume, c’est vieux et ridé, c’est recroquevillé et endurci et quand on le mange notre visage se fronce et on dit des choses comme ‘Berck’ et on crache.
Pour être apprécié dans notre société, nous devons être sucré, doux (Winnie l’ourson voulait du miel, pas des feuilles de pissenlit).
Le sucré est nourrissant, constructif, il accumule.
Les choses douces (la nourriture industrielle habituellement) sont pleines de nutriments et de déclencheurs d’insuline ce qui est comme une clé qui ouvre les portes de nos cellules, leur permettant de stocker les nutriments. De cette façon, la douceur nous ouvre, nous laisse ingérer les choses, et nous nourris avec du glucose ou des petits chats tout doux.
La douceur c’est se nourrir, et se nourrir c’est s’aimer, l’amour de soi.
Pourquoi se ruer sur le pot de crème glacée pendant un chagrin d’amour. Pourquoi est-ce quand la vie est la plus instable et la plus stressante que les gens dévorent des choses sucrées ?
Je ne peux vous dire le nombre de personne que j’ai vu s’épuiser et se punir pour ne pas avoir été capable de faire plus, d’être plus et qui vont ensuite chercher une plante pour calmer leur envie de sucre qu’ils doivent supporter au quotidien.
Cette douceur sucrée, c’est comme un câlin que vous sous autorisez, un petit signe d’auto soin, parce que même si votre cerveau vous dis ‘non, ce n’est pas bien’, le corps est plus intelligent que le cerveau, et le veut de toutes façons.
C’est de l’auto-tolérance en pot.
La supprimer sans s’occuper des autres choses, c’est comme retirer la nourriture et nous laisser désolé: C’est de l’auto punition de la pire espèce.
Peut-être que notre désir pour la douceur sucrée en tant que société n’est pas uniquement dû au fait que nous soyons gros et fainéants, mais plutôt parce que nous rééquilibrons notre auto flagellation sociale supportée quotidiennement.
Et même lorsque nous ne paraissons pas nous auto-punir en surface, les reproches masqués ne manquent pas -avez-vous déjà essayé d’écrire l’ensemble des réprimandes que vous fait votre cerveau jours après jours ? Essayez. C’est choquant.
Vous pouvez ensuite considérer ces fringales de douceur sous un autre éclairage.
Et si la douceur sucrée c’est se nourrir, qu’en est-il de l’amer ?
L’amer stimule les sucs digestifs et les enzymes.
Si le sucré ajoute, l’amer déconstruit ; L’amer aide à assimiler la nourriture en la réduisant à son état moléculaire afin qu’elle soit plus facilement absorbée par la barrière intestinale. Sans l’amertume, la digestion se fait lente du fait que la nourriture prend plus de temps à se décomposer.
Avec une digestion ralentie, vous avez plus de déchets (littéralement) en attente dans votre corps qui fermentent, crée des gaz et qui s’endurcissent.
Si d’aventure vous souhaitez une vie agréable, vous devriez éviter d’être constipé car il en faut peu pour rendre la vie d’une personne misérable ; si quelqu’un passe près de vous d’apparence rigide et amer il peut passer pour « quelqu’un de constipé » non ?
Si la constipation fait référence au passage des fèces par les intestins, personnellement, je l’assimile à une situation où quelque chose qui devrait être relarguée n’arrive pas à l’être.
Appliquer *cette* vision au corps et à la psyché humaine, et soudainement, vous avez d’autres facteurs qui entrent en jeux : la bile, les émotions, la créativité, la sexualité, qui nous sommes dans le monde.
Et oui, les toxines et les déchets.
La saveur amère nous aide à déconstruire les choses afin qu’elles ne nous encombrent plus.
C’est une action énergétique qui peut être appliquée à plus d’un domaine : vous sentez la colère ? Disséquez-la : qu’est-ce qui vous a mis en colère et pourquoi ? Quand vous comprenez et réduisez au plus petit dénominateur, vous pouvez l’exprimer et y faire quelque chose.
Exprimez-le et soudainement, vous ne retenez plus rien et vous vous sentez plus léger et libre.
Vous pouvez avancer. Abandonner toute cette merde.
Qu’est-ce que l’amertume émotionnelle ?
Ce n’est pas vraiment de la colère; c’est plus une colère inexprimée causée par un sentiment d’impuissance (voir la recette du début).
L’amertume ne surgit pas brutalement, nous ne souffrons pas d’amertume aiguë ; c’est quelque chose qui se construit avec le temps, qui commence avec de la colère pour se transformer, s’endurcir, devenir comme une petite noix de bile coincée dans le corps.
D’une certaine façon, cette amertume est une forme d’autoprotection : nous avons été suffisamment déçus, avons été trop impuissants, trop incapables de dire « TU ME FAIS MAL » où « JE SUIS EN COLÈRE APRES TOI » et nous avons donc besoin de construire un mur solide qui nous protège du risque que cela arrive encore.
De plus, ce solide mur d’amertume est comme un échafaudage qui nous renforce, nous fait nous sentir légitime dans nos émotions.
Il nous évite de souffrir et nous permet de nous faire sentir plus fort. L’amertume tiens le monde à distance, elle dit : « ne me mange pas, je suis empoisonné, et ne t’approche pas où je vais te blesser ».
Là où cela deviens encore plus intéressant, c’est qu’en médecine chinoise, le foie est le siège de la colère:
Il est responsable de la libre circulation de l’énergie dans le corps et tout cela est relié aux émotions.
Les émotions doivent s’écouler librement ; elles ne sont pas faites pour être contenues à l’intérieur de nos corps, mais ressenties, exprimées, gérées et retournées ensuite à la neutralité. Il existe des systèmes de notification pour nous renseigner sur notre environnement et les interactions:
Le petit pressentiment que quelque chose ne va pas. Ou alors, peur et colère qui toutes deux nous préviennent du danger.
Nous ressentons de la peur si la situation correspond à un environnement pour lequel on ne se sent pas préparé à gérer, et de la colère si c’est quelque chose que l’on peut.
La fonction hépatique, tout comme l’expression de la colère, peut être sur- ou sous-active.
Un foie opérant dans ses capacités saines traite l’épuration d’une grande quantité de sang chaque jours, séparant les toxines et renvoyant du sang neuf dans le reste du corps.
Parfois le foie est en sous-fonctionnement, et parfois nous ne filtrons pas suffisamment, et finissons avec un paquet de crasse accumulée qui obstrue le corps.
Un filtrage émotionnel sain est tout à fait identique : filtrage des éléments toxiques pour les renvoyer dans un endroit où ils peuvent être éliminés.
Parfois nous ressentons des choses et nous ne les comprenons pas, mais au lieu de les déconstruire pour les observer, nous les mettons simplement de côté en prétendant qu’elles ne sont pas là.
Les aliments amers stimulent la fonction de sécrétion de biliaire et de sucs digestifs, déconstruisant les choses en fragments assimilables.
Un foie fatigué ne parvient pas à filtrer, et par voie de conséquence, la stagnation surviens, qu’elle soit émotionnelle ou physique.
Je manquerai à tous mes devoirs si ne soulignais pas que cette stagnation émotionnelle est plus communément connue comme sous le nom de :’stagnation du Qi hépatique’ et qu’il existe des plantes pour cela (Rosa spp, zestes de citron, ocotillo, Actéa racemosa, Ceanothus americanus (redroot), Bupleurum…etc) ce qui est en soi une toute autre série d’articles.
L’amer, de cette façon traite l’amertume en stimulant le fonctionnement du foie.
Cette capacité d’une saine déconstruction, filtration, expression des émotions et sentiments comme lorsque nous avons le contrôle de notre vie, signifie que nous pouvons aller de l’avant sans fabriquer cette dure pépite d’amertume.
Il faut penser à cela : l’amer stimule les sécrétions, assimile la nourriture, la consommation de ‘sucré’ par la suite signifie que vous absorberez les nutriments de la nourriture.
De plus, les amers contribuent à la réponse d’insuline de façon à ce que les niveaux de sucre sanguins post amers soient plus stables lorsque l’on mange sucré:
Vous mangez amer, et ensuite le sucré peut vous nourrir d’autant mieux.
Ou alors, pour parler métaphoriquement, disons que l’amer est le dur labeur, et que le sucré est la relaxation ; ou que l’amer est la misère abjecte et le sucré une très belle journée ; ou que l’amer est les processus de déconstruction des déchets émotionnels nous permettant de les gérer, et le sucré est la capacité de vivre sa vie sans pousser cette roche de Sisyphe.
Mangez amer physiquement et vous éviterez l’amertume de la constipation ; mangez amer métaphoriquement et vous éviterez une vie d’amertume.
Ce qui nous amène à une recette d’amers.
Je suis dans une phase aubépine (c’est de saison), et c’est très facile à réaliser, délicieux et agréable d’en prendre quelques gouttes avant le repas pour aider à la digestion. Je trouve intéressant de noter que l’aubépine est l’une des herbes de prédilection pour aider une personne à se renforcer de l’intérieur et construire sa confiance pour qu’il puisse trouver l’assurance nécessaire d’exprimer ses émotions au monde, c’est donc un double effet. Amer, légèrement sucré, nourrissant à la racine et les zestes vont aider à bouger cette énergie du foie également. En plus c’est juste délicieux, faites un essai :
Amers aubépine / orange
Pour un peu moins d’un litre :
- Deux oranges
- 1 cuillère à café de gingembre
- 4 cosses de cardamone
- 250 ml de baies d’aubépine sèches
- Une pincée de racine de gentianne
- 1 cuillère à café de canelle
- Vodka (n’importe laquelle, il n’y a aucune raison d’en acheter de la cher)
Deuxième partie :
- 350 grammes de sucre
- 1 orange
Avec un épluche legume, peler les zestes d’’orange. Les disposer avec le reste des ingrédients dans un pot d’un litre et remplir jusqu’au bord de vodka. Couvrir et laisser 4 semaines.
Après 4 semaines, presser la vodka et mettre de côté. Mettre les ingrédients pressés dans un pot, ajouter 350 ml d’eau et 350 ml de sucre, le jus et le zeste d’une orange, et faire frémir. Laisser frémir sans couvrir pour une heure environ, puis filtrer.
A cette étape, vous pouvez composter les herbes.
Combinez le sirop et la vodka infusée.
Vous pouvez ensuite embouteiller individuellement et en faire cadeau ou en garder une grosse bouteille pour vous et en déguster un peu avant les repas ou en faire un ingrédient de cocktail.
Pour aller (encpore) plus loin: Bénis soient les amers (Blessed Bitters) par Jim Mcdonald et traduit en français par Christophe Bernard auteur du site aux multiples ressources Althea Provence : https://www.altheaprovence.com/blog/benis-amers-jim-mcdonald/#more-3827
Par Rebecca Altman:
Interview Une Herbaliste : Rebecca Altman